Les nouvelles technologies au service de l’étude des baleines

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Drones, IA, satellites… Découvrez comment la science innove pour observer et protéger les baleines avec des méthodes non invasives et ultra-précises.

Un tournant technologique dans la recherche sur les cétacés

L’observation des baleines a longtemps reposé sur des méthodes directes comme la photo-identification depuis un bateau, l’usage de jumelles ou le prélèvement à la perche. Si ces approches ont permis de constituer des bases de données précieuses, elles présentent des limites : proximité imposée avec l’animal, faible précision pour certains paramètres biologiques, et contraintes météorologiques fortes. Les nouvelles technologies changent la donne. Drones, satellites, intelligence artificielle et capteurs acoustiques offrent aujourd’hui des outils non invasifs et hautement performants. Ils permettent de recueillir des données plus fines, plus rapidement et à moindre coût, tout en réduisant le stress des animaux.

Le SnotBot : prélever un souffle sans contact

Parmi les innovations emblématiques, le SnotBot occupe une place à part. Ce drone modifié, développé par Ocean Alliance depuis 2015, survole les baleines au moment où elles expirent. Il traverse le nuage formé par l’air et le mucus expulsés et collecte l’échantillon dans un récipient stérile fixé sous l’appareil. Ces prélèvements contiennent de l’ADN, des hormones indicatrices de stress ou de reproduction, ainsi que des données sur le microbiome respiratoire. Cette méthode est entièrement non invasive et permet d’étudier des individus sans perturbation physique. Testé en Patagonie, en mer de Cortez et en Alaska, le SnotBot a été utilisé sur des baleines bleues, franches australes, grises, à bosse et sur des orques. Plus récemment, il a servi au déploiement de balises à ventouse (tags), offrant un suivi comportemental sur plusieurs heures.

La photogrammétrie par drone pour mesurer la condition corporelle

Les drones sont aussi utilisés pour la photogrammétrie. Équipés de caméras haute définition et de capteurs de position précis, ils prennent des images verticales des baleines en surface. Les chercheurs mesurent ensuite leur longueur, leur largeur et leur épaisseur de graisse. Ce suivi morphologique permet d’évaluer la condition corporelle, un indicateur essentiel de santé. Ces mesures, impossibles à réaliser auparavant sans capture, sont désormais effectuées à distance avec une précision de quelques centimètres. Elles renseignent sur l’état nutritionnel d’une population, sur l’effet des migrations ou sur l’impact des changements climatiques sur la disponibilité de nourriture.

L’imagerie satellite pour un suivi à grande échelle

L’essor des satellites haute résolution a ouvert de nouvelles perspectives. L’exemple du WorldView-3, capable de distinguer des objets de 30 cm depuis 620 km d’altitude, illustre cette avancée. Les chercheurs peuvent détecter et identifier plusieurs espèces – baleines franches, rorquals communs, baleines grises – dans des zones éloignées ou difficiles d’accès. Cette méthode est particulièrement utile dans les eaux polaires, où la navigation est compliquée par la glace. Elle permet aussi de constituer des inventaires plus exhaustifs lors des pics de migration.

Lidar et intelligence artificielle pour l’analyse fine

Certains drones embarquent désormais un Lidar (Light Detection and Ranging). Cette technologie envoie des impulsions laser qui mesurent précisément les reliefs et formes de surface. Appliquée aux baleines, elle donne une cartographie 3D de l’animal, utile pour analyser des cicatrices ou blessures causées par des collisions ou des filets. En parallèle, l’intelligence artificielle est mobilisée pour l’identification automatique des individus grâce à la reconnaissance des nageoires caudales (flukes). Des bases de données comme Happywhale permettent d’attribuer instantanément une photo à un individu connu, facilitant le suivi de ses déplacements au fil des années.

L’écoute passive et les enregistreurs autonomes

Les unités d’enregistrement autonome (ARU) et systèmes avancés comme l’AMAR G4 enregistrent en continu les sons sous-marins sur de longues périodes. Ils détectent les clics, chants et signaux produits par les baleines, parfois à plusieurs kilomètres de distance. Ces données servent à localiser les individus, étudier leur communication ou mesurer l’impact du bruit anthropique sur leurs comportements. L’avantage est double : pas besoin de présence humaine sur zone, et possibilité d’enregistrer en toutes saisons, même par mauvais temps.

L’hydroambiphone : spatialiser les sons

Le hydroambiphone est une innovation plus récente qui enregistre le son sous-marin en 3D. En captant les variations de direction et de distance, il permet de localiser avec précision les individus lors de comportements sociaux complexes, comme l’alimentation en filet de bulles des rorquals à bosse. Cette approche ouvre la voie à une compréhension plus fine de la coordination entre individus et de l’organisation sociale des groupes.

La modélisation prédictive pour anticiper les comportements

Des projets comme CETI développent des modèles prédictifs basés sur des algorithmes d’apprentissage. Ces systèmes analysent les séquences de plongée et prédisent les moments où les baleines remonteront à la surface. Cela permet de placer un drone au bon endroit, au bon moment, optimisant les chances de collecte de données sans survol prolongé. Cette approche pourrait également servir à prévenir les collisions avec les navires, un enjeu majeur pour certaines espèces menacées.

L’alerte intelligente pour protéger les baleines

La technologie ne se limite pas à la recherche scientifique. Le projet Whale Safe, par exemple, combine détection acoustique en temps réel, données océanographiques et IA pour évaluer la présence de baleines sur une zone donnée. Les navires reçoivent alors un indicateur de risque, avec consigne de réduire leur vitesse. Ce système a déjà permis de limiter les collisions sur certaines routes maritimes, un problème responsable chaque année de dizaines de morts chez les grands cétacés.

Vers une science plus précise et moins intrusive

Ces innovations modifient profondément l’étude des baleines. Elles permettent d’obtenir des données autrefois inaccessibles, tout en réduisant l’impact humain sur les animaux. La combinaison de plusieurs technologies – drones, capteurs, IA, satellites – offre un potentiel inédit pour comprendre comment les baleines interagissent avec leur environnement et réagir plus rapidement aux menaces. La prochaine étape pourrait être l’intégration de capteurs multi-modalités et d’analyses en temps réel directement sur les drones ou les balises, rendant possible une surveillance continue et adaptative de ces géants marins.

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